Dr. Sihem Amer-Yahia – Medaille d’argent - CNRS 2020

on the January 20, 2022

Comme chaque année, le CNRS récompense les femmes et les hommes qui ont le plus contribués au rayonnement de la recherche française et à son avancée. Le vendredi 3 décembre au World Trade Center, s’est tenue la cérémonie de remise des médailles aux lauréates et lauréats des années 2020 et 2021. Dr. Sihem Amer-Yahia, Directrice adjointe au laboratoire d’informatique de Grenoble (LIG) et titulaire de la chaire MIAI - Bridging AI and Real-Life Economics, est lauréate de la médaille d’argent 2020. Cette médaille distingue des chercheurs et chercheuses pour l’originalité, la qualité et l’importance de leurs travaux, reconnus sur le plan national et international.
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Discours Dr. Sihem Amer-Yahia

« Mesdames et Messieurs, chers collègues, chers amis et chère famille,
Ma joie est grande et ma gratitude est immense. Je suis très honorée.
Je remercie vivement le CNRS, L'INS2I et en particulier Ali Charara ainsi que toutes celles et ceux qui ont proposé ma candidature.
Je remercie Pascale Carrel pour son aide et sa patience dans la préparation de ce moment.

Les propos de la romancière algérienne Assia Djebar résonnent en moi. Dans son discours à Francfort en 2000, elle dit : j’hésite soudain : je crains qu’une si prestigieuse distinction ne me fasse chanceler sous son poids symbolique !
Femme-chercheure, je me revendique du Tiers-Monde. C’est cette force-là, si impalpable, si peu propice aux projecteurs, qui me redresse.
Je la puise chez mes parents Mouloud, mon père, mon socle, mon olivier, Nouara, ma mère, notre fleuve tranquille, mes sœurs Amel la généreuse et Mounira la courageuse, et mon frère Lotfi, l’intrépide. Je remercie mon oncle Timo et ma tante Fariza, les battants qui m'ont accueillie en France.

Pour paraphraser Simone de Beauvoir: on ne naît pas chercheur, on le devient. J'ai eu l'immense chance d'être accompagnée en thèse à l'INRIA par Sophie Cluet qui m'a montré qu'on pouvait être chercheure et belle et Serge Abiteboul qui m'a montré qu'on pouvait être chercheur et cool. Il y a eu ensuite les Etats-Unis où j'ai découvert la liberté d'être fière d'où l'on vient. Mon ami Divesh Srivastava m'a soutenue à at&t. Plus tard, Ahmed Elmagarmid m'a fait confiance lors du montage du QCRI au Qatar. En France, c'est dans un espace où je me sens accueillie que je m'épanouis : Mokrane Bouzeghoub au CNRS, Farid Ouabdesselam et Yassine Lakhnech à l'UGA, Marie-Christine Rousset, Eric Gaussier, Alexandre Termier, Noel De Palma, Patrick Reignier et Pascale Poulet au LIG. Je remercie aussi toutes mes collègues qui soutiennent notre recherche au LIG et allègent notre travail au quotidien. Je ne peux terminer sans remercier mes étudiants et post-doctorants sans qui la recherche n’aurait aucun sens.

Je veux remercier mon mari Madjid que j'admire pour son humour, sa tolérance, et sa grande connaissance de tout, absolument tout.

L’humain et les données qu’il produit sont mon cheval de bataille dans ma recherche. Le traitement massif de données d'interaction entre les humains pose des défis passionnants en informatique et permet par exemple d’analyser des réactions sur Twitter, de prédire l’état de santé d’un individu, ou d’étudier le comportement des élèves devant Parcoursup. Bien qu'ils tiennent compte des comportements humains, les algorithmes de décision ont longtemps occulté des questions sociétales fondamentales telles que la discrimination algorithmique et l'apport intellectuel des recommandations de produits ou de services. Quels sont les biais de chacun ? Qu'apprend-on d'une expérience d'échange avec les autres ? Ces interrogations nous conduisent aux frontières de l’informatique où l’on côtoie des économistes, des juristes, des sociologues, des médecins... Toute la richesse des sciences humaines et sociales, et au-delà.

C’est cela que le CNRS permet de réaliser.

Comment aborder la suite? Il y a tellement à faire pour créer des espaces où l'humain se sent en sécurité et où les systèmes faisant interagir des humains se rendent à leur service, des environnements favorisant les échanges constructifs tout en contribuant à améliorer la qualité des interactions sociales, de futurs outils de communication numériques davantage orientés vers le bien-être au travail en faisant en sorte qu'ils intègrent des valeurs et des principes humains dès leur conception. Et pourquoi pas une meilleure société en ligne où une jeune femme pourrait se connecter du Mozambique, obtenir des recommandations lui permettant d'améliorer ses compétences à moindre coût et ensuite un travail hybride au Danemark ?

Il y a un an je pensais dédier cette médaille à la mémoire des victimes de l'obscurantisme, Tahar Djaout et Samuel Patty. Depuis, j'ai perdu Sekoura, ma deuxième maman. A toi Sekoura qui m'insuffle ton courage.

Et pour finir, je m'inspire des paroles du grand poète et chanteur algérien MATOUB Lounès qui a dit à Paris en 1994 le jour de la remise du Prix de la Mémoire par Mme Danièle Mitterand : nous avons en commun la mémoire de nos sacrifices, je demande aujourd'hui aux chercheurs de continuer à tisser les liens de la générosité. »
 
Published on December 16, 2021